Quel rôle pour l'entreprise?
Le 14 septembre 2022 Yvon Chouinard, célèbre fondateur de la marque Patagonia* finalisait la cession de son entreprise, valorisée près de 3 milliards de dollars, vers deux entités distinctes :
- 2% vers un trust (représentant les actions pourvues de droit de vote)
- 98% vers une ONG (représentant les actions sans droit de vote mais vers lesquels les bénéfices sont reversés).
Ce montage crée spécialement pour l’occasion fait figure d’exception dans le paysage économique actuel : Patagonia restant une entreprise a but lucratif mais reversant la totalité de ses bénéfices à une ONG menant des actions de lutte contre le changement climatique.
Cette décision, murement réfléchie, prise par un activiste de longue date a tout de même surpris (positivement) toute la communauté des environnementalistes, preuve en est la pléthore d’articles publiés sur le sujet depuis l’annonce. Elle nous permet également de nous poser la question du rôle de l’entreprise dans la transformation de l’économie et de son impact sociétal. Au-delà du conventionnel rapport RSE, quelle place les entreprises peuvent/doivent - elles prendre dans un contexte toujours plus incertain ? Sont-elles prêtes à réinventer leur modèle d’affaires pour répondre aux nouveaux enjeux environnementaux et sociétaux ?
Actuellement on distingue plusieurs types d’Entreprise, au sens littéral du terme, répondant à divers besoins économiques et sociétaux.
Entreprise : Action d'entreprendre quelque chose, de commencer une action ; ce que l'on entreprend
Les entreprises traditionnelles
Ces structures classiques sont la base du capitalisme. Un investisseur / propriétaire / entrepreneur investi de l’argent, du temps ou du savoir dans un projet en espérant en tirer un bénéfice économique plus ou moins direct et avec plus ou moins de risque (sous forme de salaire, rente ou dividendes…). L’entreprise répond (la plupart du temps) a un besoin réel : une boulangerie, un garagiste, un supermarché. Dans le meilleur des mondes, cela suffirait à faire tourner une société : un besoin est exprimé, il est rempli par un spécialiste produisant ou commercialisant ce produit / service de la manière la plus efficace possible, tout le monde est content.
Le problème, c’est qu’avec l’habitude de l’Homme à vouloir toujours plus (ne pas hésiter à explorer le livre Le Bug Humain de Sébastien Bohler), le système a quelques peu déraillé : entreprises spéculatives voire fictives ayant pour seul but de générer du cash (sans répondre à un besoin réel), exploitation de population ou d’enfants, entreprises peu regardantes sur les dommages environnementaux, entre autres excès. L’appât du gain a dévoyé l’objet initial de l’Entreprise.
De l’entreprise libérée à la société a mission
Depuis le début des années 90, nous avons pu constater l’émergence de nouveaux modèles d’entreprises et plusieurs acteurs tentent de redonner ses lettres de noblesses à l’Entreprise. D’abord avec le but social de donner plus de liberté aux salariés, « l’entreprise libérée » est apparue en poussant la décentralisation des décisions. Le plus célèbre exemple Français est l’entreprise FAVI avec son directeur Jean-François Zobrist, premier dirigeant français à appliquer avec succès les préceptes de ce modèle (voir Liberté & Cie d'Isaac Getz et Brian M. Carney). Ce mode de gestion reste cependant relativement minoritaire et n’a toujours pas acquis le succès escompté par ses pionniers.
Au milieu des années 2000, au croisement d’un univers de l’entreprenariat quelque peu déviant et de la conscientisation des risques liés au changement climatique naissent alors les« B-Corporation », avec la plus célèbre d’entre elles : Patagonia. Ces « B Corps » qu’on pourrait traduire par « autre modèle d’entreprise » s’engagent à avoir un impact positif sur la société et sur la planète. Le succès de ce label croissant tient du fait de l’exhaustivité et la complétude de la certification. En effet l’obtention du fameux tampon B CORP valide le respect d’un cahier des charges strict, sur plusieurs volets (environnement, social, gouvernance). De plus en plus d’entreprises se penchent sur son obtention (6000 certifiées dans le monde, environ 250 en France à ce jour et au moins le même nombre en cours de certification au moment d’écrire ces lignes). La liste complète ici : https://www.bcorporation.fr/communaute/.
En 2019, la loi PACTE constitue une étape supplémentaire à la reconnaissance de ces entreprises à impact en introduisant la notion de « société a mission » dans le droit français:
« Les entreprises ne se limitent pas à la recherche du profit. L’entreprise doit être le lieu de création et de partage de sa valeur. Le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) permet de redéfinir la raison d’être des entreprises et de renforcer la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux liés à leur activité. »
Ce statut juridique reconnu prend de l'ampleur, de 207 entreprises recensées en 2020 à 507 en 2021, leur nombre a plus que doublé en 12 mois, ce qui montre l’attractivité exercée par de ce modèle juridique. Avec la notoriété croissante de ce modèle et les premières preuves de sa robustesse, cette tendance positive devrait s’intensifier dans les mois à venir et se refléter sur les chiffres 2022.
Il est intéressant de noter que certaines de ces entreprises poussent la démarche plus loin en intégrant une démarche sociale, une dimension d’impact territoriale ou de gouvernance partagée dans leur projet, c’est alors qu’on voit éclore des Sociétés Coopératives (SCOP) ou d’intérêt collectif (SCIC) rassemblées sous le terme d’entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS).
Vers un changement de paradigme ?
Au-delà des labels et de la législation, c’est le rôle même des entreprises au sein de la société qui doit être questionné. Quel rôle doit jouer une entreprise dans la lutte contre le changement climatique ? Comment une entreprise traditionnelle peut-elle survivre et assurer une vie décente à ses salariés dans un monde « post croissance » tel que décrit par l'économiste Thimotée Parrique ? Peut-elle, et si oui, comment avoir un impact positif sur l’environnement ? l'entreprise régénérative semble le nouveau Graal a atteindre, est-il réaliste?
Ces questions devraient être en haut de l’agenda des COMEX et des CODIR, le sont-elles ?
Les contraintes liées au changement sociétaux et climatiques actuels sont croissantes sur les organisations et sur leurs dirigeants (réglementations plus strictes, risques climatiques, perte d’attractivité etc…). Le management des risques devient prépondérant sur le management des opportunités. Les entreprises d’aujourd’hui doivent opérer un virage et changer leur modèle d’affaires pour espérer pérenniser leurs activités.
Nous l’avons vu plus haut, plusieurs voies sont possibles ; toute forme d’action allant dans le sens d’un changement de modèle d’affaires classique est bonne à prendre dans un monde aux mutations structurelles multiples, conséquences des limites planétaires que nous avons atteintes. Certains modèles fonctionnent pour certains types d’entreprise, a l’instar de Patagonia qui crée une structure inédite pour sa gouvernance ; d’autres feront des choix différents. Le principal est ailleurs : il est l’heure de bouger les lignes et d’inventer de nouveaux modèles.
L’important n’est pas la destination mais le chemin comme dirait l’autre. Personne ne connait les bonnes solutions, s’il en existent. En revanche, nous ne pouvons pas nous refuser d’explorer des alternatives à nos schémas économiques destructeurs de valeur.
*Patagonia est une entreprise californienne de vêtements techniques éco-conçus de sports de montagne et de surf, créée par Yvon Chouinard en 1972.
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